Colloque novembre 2016
Colloque « la Corse et le monde méditerranéen de la fin du moyen-âge à la fin de l’époque moderne : Rapports économiques, enjeux stratégiques, échanges culturels»
Jeudi 17 novembre 2016
MATIN
08h30 : Accueil
09h00 : Allocutions d’ouverture par le président du Conseil général de la Haute-Corse et par le président de la Société des Sciences historiques et naturelles de la Corse.
Modérateur : Joseph Puccini
09h30 : La baie de Girolata et la Méditerranée : les dernières recherches archéologiques sous-marines.
Franca Cibecchini, E. Rieth, G. Dieulefet
10h00 : La construction du fort de Girolata.
Antoine-Marie Graziani
10h30 : Pause
10h45 : Calvi au bas Moyen-Âge, en particulier la tour du sel.
Paola Camuffo
11h15 : Approche quantitative des céramiques importées à travers les sources archéologiques et historiques.
Emilie Tomas, avec la contribution de Jean-Christophe Liccia
11h45 : Pause repas
APRES-MIDI
Modérateur : Jean-Michel Casta
13h45 : Le bienheureux Alberto Leccapecore, de la Corse à Pise et à Clairvaux (première moitié du XIIe siècle).
Alain Venturini
14h15 : Aspects de l’Eglise corse aux XIVe et XVe siècles d’après des sources vaticanes.
Damien Broc
14h45 : Pause
15h00 : Les Corses à Rome: l’arciconfraternità del Santissimo Sacramento e di Maria Santissima del Carmine. Moments fondateurs et actes notables.
Stéphane Marchetti
15h30 : La Corse comme étape et/ou enjeu en Méditerranée sur « la route du Levant » sous l’Ancien Régime et la Révolution française.
Francis Pomponi
16h00 : Fin de la première journée
Vendredi 18 novembre 2016
MATIN
Modérateur : Francis Beretti
9h00 : La Corse, un enjeu en Méditerranée ? 1533 à 1768.
Michel Vergé-Franceschi
9h30 : Le royaume Corse de Paoli et le Bey de Tunis. Droit des peuples contre droit des puissants.
Denis Luciani
10h00 : Pause
10h15: Quel rôle joua la Corse dans les échanges commerciaux à destination de Marseille, marché international des huiles de Méditerranée dans la seconde moitié du XVIIIe siècle ? (enjeux et réalités).
Denis Jouffroy
10h45: La politique douanière menée en Corse de 1768 à 1793
Jean-Yves Coppolani
11h15 : Pause repas
APRES-MIDI
Modérateur :Jean Arrighi
13h45 : Une compagnie de volontaires corses au service de la Grande Bretagne en 1782.
Francis Beretti
14h15 : Passer la mer : voyageurs entre Corse et « terre ferme » à la fin du XVIIIe siècle.
Jean-Christophe Liccia
14h45 : Pause
15h00 : « L’Accademia dei Vagabondi » : une académie italienne aux XVIIe et XVIIIe siècles.
Antoine Franzini
15h30 : Peintres d’Italie continentale et commanditaires corses au XVIIe et XVIIIe siècles.
Michel-Edouard Nigaglioni
16h00 : Clôture du colloque.
Les actes du colloque seront publiés dans le Bulletin de la Société des sciences.
Résumés
– La baie de Girolata et la Méditerranée : les dernières recherches archéologiques sous-marines. Franca Cibecchini, E. Rieth, G. Dieulefet
La baie de Girolata, seule baie vraiment abritée entre Calvi et Ajaccio, a tenu un rôle très important dans la navigation depuis l’Antiquité en tant que zone de mouillage et d’escale commerciale. Le hameau de Girolata (commune d’Osani) est blotti au fond d’une magnifique baie qui n’est véritablement accessible, encore aujourd’hui, que par la mer. L’historiographie rapporte qu’en 1540, le génois Giannettino Doria y a capturé le célèbre corsaire barbaresque Dragut, immobilisé dans la baie pour cause de mauvaises conditions météorologiques avec ses navires et le butin des razzias effectuées sur le littoral de la Corse, surtout à Lumio. Sous la domination génoise, la baie de Girolata devient un haut lieu stratégique pour le contrôle de la côte nord-occidentale de la Corse, surtout après la construction, en 1551-1552, du fort qui en domine et contrôle l’accès. L’importance de ce site maritime est illustrée par les données archéologiques recueillies au cours de ces dernières années, comme nous l’exposerons dans notre communication.
Le patrimoine maritime de Girolata était très mal connu avant la déclaration au Drassm en 2010 de trois épaves gisant à faible profondeur à proximités des pontons. A la suite de l’expertise du site occasionnée par cette déclaration, le Drassm organisa une première mission d’une semaine à Girolata en 2011, à laquelle succéda une deuxième courte mission en 2012 dans le cadre de la Carte Archéologique sous-marine de la Corse et enfin un chantier école de deux semaines en 2014. Grâce à ces missions il a été possible de dater de manière approximative les trois épaves, d’évaluer leur état de conservation, d’envisager d’éventuels systèmes de protection et d’évaluer plus précisément leurs caractéristiques architecturales et leur intérêt scientifique. Une de ces épaves, partiellement disloquée, a particulièrement attiré notre attention. Elle correspond en toute probabilité à un navire qui a fait naufrage au XVIe – XVIIe siècle (Girolata 2), comme l’indiquent ses caractéristiques de construction et la découverte en place entre les fourcats d’un fond de pichet ligure de cette époque.
Nous avons en même temps inventorié et documenté le très abondant mobilier recueilli dans la baie pendant les 40 dernières années. Ce sont surtout ces céramiques qui nous parlent de l’histoire de Girolata et nous renseignent sur son rôle au sein du cabotage de la Corse et parmi les voies commerciales de la Méditerranée occidentale entre le IIIe siècle avant J.-C. et l’époque contemporaine. Il s’agit très généralement d’objets appartenant aux cargaisons des navires en escales ou d’objets de bord, très fréquents dans les contextes archéologiques portuaires. À ce titre, le mouillage de Girolata est un observatoire privilégié car son espace portuaire a très peu changé depuis que les premiers marins sont venus s’y abriter. Cette communication s’attachera particulièrement aux vestiges des époques médiévale et moderne.
– La construction du fort de Girolata. Antoine-Marie Graziani
Le site de Girolata a eu son moment de célébrité en 1540, lors de la capture de Dragut par Giovannettino Doria. Mais le lieu qui dépend comme Porto du commissaire de Calvi reste trop à l’écart et trop éloigné sans réel moyen pour qu’on ait la nécessité d’y construire un élément de fortification. La nouveauté provient de la décision de déplacer le gouverneur de Bastia à Calvi en 1543. Un ingénieur est envoyé, Gieronimo de Levanto, surnommé le levantino, rapidement chargé de la vérification des défenses de l’île. C’est lui qui construira, en 1551, la tour de Girolata, un édifice sur le chantier duquel il décèdera en 1552. L’Office de Saint-Georges décidera alors d’en revenir aux principes de l’inféodation en donnant la zone de Sia à un seigneur génois, en intégrant l’édifice construit dans un contrat. C’est ce seigneur qui achèvera l’édifice.
Plus tard, la transformation de la tour en fortin, en 1610, s’intègrera dans un grand effort mené par le gouvernement génois pour ouvrir la région de Sagone à Scandola. Au total, la construction du fort de Girolata révèle les différentes méthodes employées par Gênes pour organiser une défense de l’île, payée en réalité par les populations de Corse.
– Calvi au bas Moyen-Âge, en particulier la tour du sel. Paola Camuffo
Le site défensif à forte vocation stratégique et militaire de Calvi est attribué à la deuxième moitié du XIIIe siècle et il représente donc une des premières villes médiévales de l’île après le préside génois de Bonifacio (1195). Au cours du XIIIe siècle la Superba semble consacrer son attention au développement des activités commerciales et économiques dans le nord-ouest de l’île par le biais de la fondation de Calvi qui, à partir de 1284, bénéficie d’un accord de protectorat avec Gênes.
Concernant la citadelle primitive de Calvi nous ne disposons que de très peu d’informations. A. Franzini précise que : le chantier le plus important de la Corse dans le milieu du XVe siècle était sans aucun doute celui des travaux effectués dans la forteresse de Calvi[1]. Selon le chroniqueur Giovanni della Grossa c’est au milieu du XVe siècle que les vestiges des premières fortifications de la ville font l’objet d’importants réaménagements jusqu’arriver à la construction d’une nouvelle forteresse à la fin du XVe siècle. En 1490 Cristofaro de Gadino, architecte lombard avec l’aide des ouvriers génois, commence la construction d’une forteresse tan dis que l’achèvement du castello se concrétise en février 1492. A la fin du XVe siècle est construite la torre de la Marina et son corridore, objet de l’étude. Au départ il s’agit d’une tour de guet destinée à défendre le port et les points de débarquements tout en étant placée sous le protectorat de la citadelle[2]. L’édifice assume plus tard une fonction majeure car il devient l’entrepôt où le sel était déposé. A cette dernière, qui a subit plusieurs réaménagements (notamment en 1700), sont assigné plusieurs appellations selon les plans de l’époque (torre che guarda il porto, tour sur le rivage, tour de la Marina, torre detta del Sale).
– Approche quantitative des céramiques importées à travers les sources archéologiques et historiques. Emilie Tomas, avec la contribution de Jean-Christophe Liccia
Cette communication s’inscrit dans la continuité de l’étude céramologique exposée lors du premier colloque intitulé » La Corse et le monde méditerranéen : des origines au Moyen Age – échanges et circuits commerciaux. A la fin du Moyen Age, les productions importées sont diversifiées, mais les ateliers pisano-ligures sont majoritaires. Alors que les ateliers de Savone produisent des céramiques décorées d’un motif bleu sur fond bleu ou blanc, les officines de Montelupo se distinguent par leurs grands plats ornés de motifs géométriques ou floraux ? largement et méticuleusement colorés de vert, bleu, marron, orange ou encore de jaune. D’autres productions sont, toutefois, en moindre quantité, largement diffusées en Corse dont les ateliers de Fréjus. Si les opérations d’archéologie programmée et préventive offrent de nouveaux lots de mobilier permettant de confirmer ou non notre discours, les sources écrites conservent de précieux renseignements sur le commerce de ces céramiques. Cette communication mettra ainsi l’accent sur une confrontation entre les données archéologiques et textuelles.
– Le bienheureux Alberto Leccapecore, de la Corse à Pise et à Clairvaux (première moitié du XIIe siècle). Alain Venturini
Fils de noble famille et d’abord adonné au métier des armes, Alberto Leccapecore décida d’abandonner le siècle après la mort de son frère dans un duel. Quittant la Corse pour Pise, il vécut à San Vito sans pour autant embrasser la vie monastique. Il chercha en fait une voie nouvelle : vivre selon l’Evangile dans le siècle. Créateur d’une petite fraternité partageant son idéal, il fut surtout, au cours de son séjour pisan, l’inspirateur de saint Rainier. A la fin de sa vie, il reprit ses pérégrinations pour aller jusqu’à Compostelle puis à Paris, où il devint le conseiller de Louis VII. Il mourut en France, à Clairvaux, alors qu’il retournait à Pise. Le rédacteur de la Vita de saint Rainier, Benincasa, lui a consacré une véritable Vita enchâssée dans la première : son oeuvre nous permet de saisir toute l’importance d’Alberto pour l’émergence d’une spiritualité laïque dans la première moitié du XIIe siècle.
– Aspects de l’Eglise corse aux XIVe et XVe siècles d’après des sources vaticanes. Damien Broc
Si les recherches concernant la Corse médiévale se sont multipliées ces quarante dernières années, elles se sont somme toute peu penchées sur l’histoire de l’Église. La faute sans doute à une tendance historiographique française très centrée sur les questions du politique mais aussi à des sources génoises et milanaises peu loquaces s’agissant de la vie de l’Église.
Si nous voulons obtenir quelque progrès en la matière, il est indispensable d’exploiter les fonds de l’Archivio Segreto Vaticano. C’est ce que je me propose de faire en vue notamment d’éclairer la situation de l’Église insulaire au temps des schismes, étant entendu qu’elle ne demeurait pas à l’écart des cahots qui secouaient l’Occident. D’ailleurs, d’une manière générale, l’île était bien insérée dans la vie de l’Église. C’est ainsi que les évêques des diocèses corses effectuaient de nombreux et longs séjours à la cour d’Avignon où, comme tant d’autres prélats présents sur place, ils participaient à l’administration de l’Église, surtout par des concessions d’indulgences. Plus loin encore, les débats politico-religieux du temps gagnaient aussi la Corse. Par exemple, le schisme de 1328-1329 qui opposait Jean XXII à Nicolas V autour de la question de la théocratie pontificale avait un certain écho et des répercussions en Corse.
– Les Corses à Rome: l’arciconfraternità del Santissimo Sacramento e di Maria Santissima del Carmine. Moments fondateurs et actes notables. Stéphane Marchetti
C’est en 1543 que le prieur des carmes de la Basilique San Crisogono, Giovanni Battista Granelli, créa en les mus de ladite basilique, l’Arciconfraternita del Santissimo Sacramento e di Maria Santissima del Carmine. Cette confrérie est l’émanation même du renouveau théologique voulu par le pape Paul III (qui convoqua le Concile de Trente en cette année, pour une première séance en 1545), qui dans ses souhaits recommandait une plus grande vénération du Corps du Christ ([…] Santissimo Sacramento […]). C’est tout naturellement que les Corses, présents en grand nombre à Rome prirent part à cette création. C’est d’ailleurs sous le pontificat du pape Paul III, que les Corses installés à Rome obtinrent de nombreux privilèges, comme celui de pouvoir être ensevelis en la Basilique San Crisogno, dite Chiesa di i Corsi. A la consultation des archives de cette confrérie, on dénombre beaucoup de Corses ; dans un souci du détail propre aux carmes, on trouve également annotés les villages corses d’origines. Nul n’est sans savoir que de 1604 à 1662, les Corses formèrent la Guardia Corsa Papale ; la quasi-totalité de ces gardes corses étaient confrères, et jouèrent un rôle de premier plan dans la vie du Trastevere, où cette confrérie à une fonction prédominante, encore de nos jours.
– La Corse comme étape et/ou enjeu en Méditerranée sur « la route du Levant » sous l’Ancien Régime et la Révolution française. Francis Pomponi
La place de la Corse en Méditerranée comme étape ou enjeu sur les voies maritimes en direction des rives méridionales et orientales du mare nostrum est connue pour les moments forts de la rivalité entre Pise et Gênes au Moyen Age et ceux de la pêche au corail sur les rives d’Afrique du Nord au XVIe, au temps de Sampiero corso, des Lenche et de Sanson Napollon ou, plus tard, de la Compagnie d’Afrique sous l’Ancien régime français au XVIIIe.
Moins bien traitée en tant que telle par l’historiographie insulaire est sa place sur « la route du Levant ». Le fait, antérieur au XVIIIe, devient prégnant lors de la conquête française au lendemain de la guerre de 7 ans lorsque s’effectue un recentrage des visées stratégiques et commerciales de la France de l’Atlantique vers la Méditerranée, par suite des pertes subies au Canada et aux Antilles. On pourra évoquer comme repère pour cette époque charnière l’activité de Roux dit de Corse de Marseille, marquis de Brue. La position d’enjeu maritime de la Corse s’affirme à propos de la question des îles intermédiaires disputées entre la monarchie française et la royauté de Piémont-Sardaigne sous l’Ancien Régime et elle rebondit encore -ce que l’on connaît moins-sous la Révolution française, au moment de l’expédition de Sardaigne (janvier 1793). Pensons aux prises de position des conventionnels Saliceti de Corse et Barbaroux de Marseille et à leur contribution au débat plus large qui se pose alors entre impérialisme et prosélytisme révolutionnaire d’une part et cosmopolitisme hérité des lumières de l’autre. Les représentants de la métropole marchande et de la Corse prônent tous deux, au nom de la sauvegarde de la route du Levant, un interventionnisme en Méditerranée où Corse et Sardaigne auraient fait l’objet de la part de l’Exécutif de tous les soins militaires, économiques et stratégiques requis par les circonstances
– La corse, un enjeu en Méditerranée ? 1533 à 1768. Michel Vergé-Franceschi
De par sa position en Méditerranée, la Corse s’est toujours avérée être un enjeu pour toutes les civilisations antiques et les puissances médiévales. A l’époque moderne (1492-1792), son statut d’enjeu demeure.
En 1533, les Corses se multiplient à Marseille autour de Sampiero Corso (colonel français) et de Tomasino Lenche (négociant naturalise).
La Corse est donc entrainée dans la politique franco-turque de La Sublime Porte. La flotte franco-musulmane s’empare de Bastia, Ajaccio, Bonifacio (1553). Calvi reste génoise 1553. « La Corse est le merveilleux cavalier qui chevauche la Méditerranée » (Catherine de Medicis).
Les échevins, consuls, édiles marseillais sortent essentiellement de Centuri car la ligne Centuri/Marseille coupe a angle droit les communications Hispano-génoises (Barcelone / Gênes alliées a partir de 1528).
1694 changes la donne. La Royal Navy hiverne pour la première fois en Méditerranée. Les Anglais prennent Gibraltar (1704) qu’ils conservent avec Minorque (1713).
La présence anglaise en Levant incite la France a regarder la Corse d’un oeil intéresse car Londres ne peut menacer Toulon, premier arsenal militaire français.
Paoli est le symbole de ce XVIIIe siècle corse qui voit la France et l’Angleterre entamer la Seconde Guerre de Cent Ans (1688-1815) que Bonaparte puis Napoléon finiront par perdre a Aboukir (1798) et Trafalgar (1805) alors que les derniers échevins corses administrent encore Marseille (1787).
Enjeu entre Français de François 1er (allie de Soliman) et Espagnols de Charles Quint (allie de Gênes), la Corse est alors disputée entre la France de Louis XV qui triomphe a Ponte Novo (1769) et l’Angleterre de George III qui pensionne le Babbu.
– Le royaume Corse de Paoli et le Bey de Tunis. Droit des peuples contre droit des puissants. Denis Luciani
L’établissement des relations entre Paoli et le Bey de Tunis marque à la foi une continuité et un tournant : continuité de « relations » avec le monde des Barbaresques, captifs, renégats ou pêcheurs de corail qui existait depuis le XVIe siècle, relations illustrées, en partie, par les Corses du bastion de France à Alger. C’est probablement par l’intermédiaire de ces relations que Paoli établit les contacts avec le Bey aboutissant à des accords commerciaux et politiques de première importance. Le tournant fut que ces accords, d’abord tacites, seront suivis d’effets puis formalisés concrétisant par la même l’avènement de la nouvelle puissance navale et commerciale corse en Méditerranée
Lorsque arrive la nouvelle de la signature du traité de Versailles, les relations entre le Bey et le consul de France De Saizieu, jusque-là excellentes, se tendent : le consul tente d’empêcher la réalisation d’un axe corso-tunisien. Ses lettres rendent compte de la détérioration des relations franco-tunisiennes ainsi que de la sympathie de plus en plus ouverte du Bey envers la Corse de Paoli. La nouvelle de la défaite française à Borgu renforce l’attitude pro corse du Bey qui manifeste ouvertement sa joie et dont les raïs attaquent, dès novembre 1768, des bateaux français. La correspondance du consul de France se fait l’écho de la détérioration des relations avec la régence.
La régence de Tunis est bien l’alliée de la Corse indépendante de Paoli. La politique de ce dernier n’est pas sans inquiéter certains voisins notamment les Sardes, pourtant eux aussi fidèles alliés. Tant la maison de Savoie que les populations sardes – considérées par Paoli comme des frères- sont inquiètes de voir le chef de la Corse indépendante et le Bey de Tunis entretenir de très bonnes relations alors que les corsaires barbaresques continuent leurs déprédations. Cependant, ni les convictions religieuses de Paoli, ni ses relations privilégiées avec Rome ou d’autres puissances italiennes, ni la catholicité de la Corse ne viendront remettre en cause sa politique méditerranéenne vis-à-vis du monde musulman. Par réalisme politique, Paoli n’officialisera pas les accords avec le Bey, de même ce dernier ménagera la France jusqu’en octobre 1768.
L’hostilité ouverte du Bey à la guerre de conquête du roi de France après la défaite de Borgu, lui vaudra une mise en garde cinglante du consul, le menaçant de guerre ouverte en cas de poursuite de ses relations avec Paoli. Le Bey défie ouvertement la France autorisant même ses corsaires à attaquer les navires français. La nouvelle de la défaite des Corses à Ponte Novu ne le ramène pas à de meilleures dispositions. Il refuse de reconnaître l’annexion de la Corse par la France, arguant même d’un traité qu’il aurait conclu avec Paoli. Finalement, c’est uniquement sous la menace de la flotte française que le Bey acceptera, contraint et forcé, de reconnaître l’annexion française de l’île en 1770, avec les bombardements de Sousse, Bizerte et Tunis par l’escadre de Toulon.
Le Bey céda uniquement devant l’emploi d’une force auquel il n’était plus en capacité de répondre. Nous avons ici les trois composantes de la politique navale, militaire et commerciale vis-à-vis de l’Afrique du Nord que Paoli voulut mettre en place et que le roi de France, prenant la suite de Gênes, s’empressa d’effacer : les relations diplomatiques et commerciales avec la Barbaria, l’exploitation de la pêche du corail et la remise des captifs résultant des opérations de course en Méditerranée. « L’avenir de la Corse est sur mer ». Cette phrase de Paoli ne fut pas dite en vain ; si les Génois ne purent durant des siècles empêcher les Corses, tout au moins une partie d’entre eux, d’être présents sur mer, ils s’efforcèrent d’exercer, via fiscalité et droits de douanes, un monopole sur le commerce maritime. Paoli en créant la marine corse désorganisait le commerce génois et faisait naître un concurrent direct à la thalassocratie ligure.
Les choix de Paoli furent ceux d’un chef d’Etat conscient des impératifs stratégiques de la nation corse en Méditerranée, conscient également que ces choix ne devaient pas remettre en cause le ciment collectif de cette même nation. Paoli se présente comme l’héritier d’Ugo Colonna et des cinarchesi tout comme de Sampieru. L’établissement des relations officielles de l’Etat paoliste avec les régences musulmanes allait de paire avec la volonté de faire de la Corse une puissance navale et commerciale en Méditerranée. Il traduisait une aspiration à l’ouverture vers un univers maritime qui ne put s’établir faute de maîtriser sa destinée politique.
– Quel rôle joua la Corse dans les échanges commerciaux à destination de Marseille, marché international des huiles de Méditerranée dans la seconde moitié du XVIIIe siècle ? (Enjeux et réalités). Denis Jouffroy
Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, Marseille devient le véritable marché international des huiles et en particulier des huiles d’olive de toute la Méditerranée. L’essor de l’activité savonnière à cette époque explique le rôle incontournable joué par la place phocéenne. En effet Marseille est le théâtre d’un bouillonnement industriel grâce aux dizaines d’entreprises de transformation et de fabrication du savon installées dans la ville et qui emploient des centaines d’ouvriers spécialisés. La place marseillaise organise, structure et exerce une forme de monopole sur le commerce des productions oléicoles du pourtour méditerranéen. Dans ce contexte particulier quel est le poids de la production oléicole insulaire dans les pulsations de ce marché international ? Durant cette période mouvementée sur le plan politique en Corse, quels sont les enjeux économiques et géopolitiques des exportations d’huile corse en direction de Marseille ? Nous essayerons de retracer les grandes lignes de cette histoire en essayant d’apporter un éclairage nouveau sur les réalités et les enjeux politiques et économiques de ces échanges commerciaux encore peu étudiés et dont nous n’avons pas encore pris la mesure de leur importance dans l’histoire de l’île.
– La politique douanière menée en Corse de 1768 à 1793. Jean-Yves Coppolani
Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, Marseille devient le véritable marché international des huiles et en particulier des huiles d’olive de toute la Méditerranée. L’essor de l’activité savonnière à cette époque explique le rôle incontournable joué par la place phocéenne. En effet Marseille est le théâtre d’un bouillonnement industriel grâce aux dizaines d’entreprises de transformation et de fabrication du savon installées dans la ville et qui emploient des centaines d’ouvriers spécialisés. La place marseillaise organise, structure et exerce une forme de monopole sur le commerce des productions oléicoles du pourtour méditerranéen. Dans ce contexte particulier quel est le poids de la production oléicole insulaire dans les pulsations de ce marché international ? Durant cette période mouvementée sur le plan politique en Corse, quels sont les enjeux économiques et géopolitiques des exportations d’huile corse en direction de Marseille ? Nous essayerons de retracer les grandes lignes de cette histoire en essayant d’apporter un éclairage nouveau sur les réalités et les enjeux politiques et économiques de ces échanges commerciaux encore peu étudiés et dont nous n’avons pas encore pris la mesure de leur importance dans l’histoire de l’île.
– Une compagnie de volontaires corses au service de la Grande Bretagne en 1782. Francis Beretti
Il s’agit de présenter un manuscrit inédit, intitulé : Giornale della spedizione fatta da Livorno per Porto Maone il dì 24 febrajo 1782. C’est une sorte de livre de bord, qui commence le 24 février 1782, et se termine le 3 octobre de la même année. L’auteur, anonyme, fait le récit d’un voyage qui a comme destination Port-Mahon, puis Gibraltar, deux places fortes que les britanniques s’efforcent de conserver face aux alliés franco-espagnols ».
– Passer la mer : voyageurs entre Corse et « terre ferme » à la fin du XVIIIe siècle. Jean-Christophe Liccia
Que ce soit pour des raisons professionnelles, familiales, médicales, politiques ou religieuses, des milliers d’individus franchissaient chaque année la mer qui sépare la Corse du continent, pour un séjour de quelques jours, de plusieurs mois voire définitif. Nous tenterons de lister et de quantifier les lieux d’origine ou de destination des migrants, les motifs de leur déplacement et la durée de leur séjour, à la fin d’un XVIIIe siècle où la Corse, si proche des grandes villes italiennes, devient un motif de curiosité si ce n’est une étape du Grand Tour. Des sources inédites serviront de base à cette approche.
– « L’Accademia dei Vagabondi » : une académie italienne aux XVIIe et XVIIIe siècles. Antoine Franzini :
La vigueur du mouvement académique dans l’Europe moderne va contribuer de manière décisive à la réorganisation des savoirs et de la sociabilité savante, et aussi à l’émergence des figures modernes du savant comme de l’artiste. Ce mouvement se distingue des universités alors en franc déclin, en cultivant l’utopie d’une république savante.
Ainsi, des centaines d’académies littéraires naissent dans la péninsule italienne depuis le XVIe siècle où ont commencé de se former ces sociétés savantes qui reprenaient le terme grec ancien d’académies. C’est dans ce contexte florissant qu’est fondée à Bastia en 1658 l’Accademia dei Vagabondi. Elle fermera ses portes au début des années 1720. Quand elle renaît en 1749, pour trois ans seulement, sous l’impulsion du marquis de Cursay, elle répond plutôt dans son projet et ses références à ce qui se fait dans le royaume de France, contrairement aux années de sa fondation accomplie dans le modèle italien, voire ligure.
– Peintres d’Italie continentale et commanditaires corses au XVIIe et XVIIIe siècles. Michel-Edouard Nigaglioni
Les églises et chapelles de Corse sont dotées d’un patrimoine pictural important, tant qualitativement que quantitativement. Si l’on considère l’ensemble des tableaux contenus dans ces édifices, on constate que 80% des œuvres ont été peintes sur place. Elles ont été réalisées sur le sol de la Corse, soit par des peintres locaux, soit par des artistes étrangers à l’île (simplement de passage ou installés pour une période plus ou moins longue). Les 20% restant sont constitués de toiles commandées en Italie continentale puis expédiées dans l’île, en caisse, par voie maritime. Plusieurs écoles sont représentées dans le groupe d’œuvres en question : il s’agit principalement d’œuvres génoises et romaines, mais aussi, plus ponctuellement, florentines et milanaises.
En se basant sur les résultats obtenus au terme de l’inventaire de plus de 500 édifices religieux, on est aujourd’hui en mesure de publier une sélection d’œuvres remarquables et représentatives. Elle permet de donner un premier panorama de ce corpus, d’en saisir l’intérêt, la qualité et la diversité.
[1] FRANZINI A., 2005, La Corse du XIVe siècle, Politique et société, 1433-1483, Ajaccio, p. 432.
[2] BATTESTINI F. F., 1968, Calvi au XVIe siécle.1563-1607, Paris.